mardi 3 mars 2009

Nisrine…

J’ai rêvé de toi pendant des mois… ton prompt départ m’a non seulement brisé le cœur, mais m’a également valu une lourde sanction par une supérieure insensible… t’étais devenue ma drogue, mon carburant… tu motivais mon réveil chaque matin et donnais raison d’être à tous mes faits quotidiens… méfaits de l’amour…

Oui je t’ai aimée de tout mon être… à la seconde même où je te vis manquer d’air sur ce lit froid, où je courus te ramener la vie par une bien dure sonde d’aspiration… tes lèvres reprenaient couleurs de la vie et avec eux, mon cœur palpitant d’espoir apprit à battre pour nous deux…

On s’étaient plus séparées depuis… on s’étaient aimées à souffrir de la longueur des nuits, l’ennui des staffs et les courtes pauses… les nuits de gardes ne m’effrayaient plus, j’y allais le sourire franc et la volonté incroyable… tu allais mal dès que je te quittais et tu me le signifiais bien ! j’étais devenue ton petit jouet et tu te plaisais bien à me secouer… te voir malade m’angoissait et tu en profitais… j’étais consciente de ta manipulation et même que j’en redemandais… fière de ton amour… gaga devant tes yeux…

Ton père était mort dans un bien cruel accident en te ramenant à l’hôpital suite à ta bronchiolite… ta mère en deuil, pauvre et esseulée, n’avait pas de quoi te rendre visite chaque jour au service depuis le bidon-ville Sidi Moumen, du coup chaque jour un voisin venait faire son apparition pour contribuer, dans la solidarité de la petite gent, à veiller sur toi… ils transmettaient tous ma noblesse ignorant tout de ma tendresse…

Mais toi tu savais combien je t’aimais… tes sourires me le disaient, tes regards défiaient mes rébellions et tes moues boudeuses savaient ma faiblesse…

Nos tête à tête les nuits de garde devaient bien exaspérer plus d’un et nos longues discussions câlines empêchaient la grosse infirmière de ronfler… et tu adorais faire ton tapage la nuit… tu râlais, tu râlais ! et je t’aimais… je t’aimais…

Et puis vint un jour où je dus quitter le service pour passer ces examens… je courrais après chaque matière pour te manger des yeux avant de me remettre à apprendre des mille et une pathologies…

Il vint ensuite le jour malsain où je me suis emmêlé les pinceaux sur les troubles hémato… une matière de ratée et bien ? je ne regrettais rien… je courus te filer les cent baisers du jour mais je me glaçai sur le perron en trouvant ton lit occupé… le service vide…

Je demandai après toi et on me dit que le médecin de salle estima que tu étais prête à rentrer chez toi… je lui criai son incompétence à cette inhumaine, de se soucier de son cursus plutôt que du bien être d’un patient… je fus renvoyée…

J’eus au cœur ce mal qu’on a lorsqu’on se rend compte d’avoir été spolié de sa vie, que dorénavant on se retrouve à l’extérieur de sa propre existence et qu’il faudra en bâtir une à nouveau, mais surtout qu’on n’en a pas la force !!

Je cherchai tes coordonnées, un téléphone, une adresse : Sidi Moumen… mais où ?
Une jeune aide-soignante calma ma panique en m’informant de ton rendez-vous de contrôle dans la semaine… je lui laissai mon numéro de téléphone pour le communiquer à ta mère…

J’ai pleuré ce soir là, devant les yeux grands et l’air hébété de ma colocataire… t’imaginer manquer d’air le soir m’effrayait, mais pour dire mon égoïsme, j’avais surtout peur de manquer de ta présence…

Une semaine de lassitude et d’hypersomnie de lutte contre la douleur, puis sonna le téléphone :
« Allo ! »
« …. Ouais… »
« Bonjour Docteur, je suis la mère de Nisrine ! on m’a dit que vous cherchiez à me joindre ! »
« hein ? Bonjour Lalla ! comment va Nisrine ? elle se porte bien ? »
« oui lhamdoulillah grâce à vous ! tout le monde m’a parlé de votre gentillesse, que dieu vous garde… y a-t-il un problème avec ma fille ? »
« Non ! pas du tout, je me demandais juste si je pouvais la voir… si je pouvais vous rendre visite question de prendre de ses nouvelles, de vous venir en aide… »
« Vous êtes bien gentille… je vous rappellerai. »

Elle raccrocha sec mais j’eus l’espoir de l’avoir à nouveau au téléphone…

Jamais plus de nouvelles de toi…

J’ai rêvé de toi pendant des mois…

Ce soir en revoyant pour la énième fois cette vidéo, j’ai compris enfin pourquoi elle me subjuguait… si tu es toujours de ce monde, tu dois avoir l’âge de cette petite nipponne sur la vidéo et les mêmes yeux bridés qui me rendaient folle de toi… le même sourire même si tu n’avais que 2 mois à ton admission et 6 à ton départ… pendant ces 4 mois là tu étais ma fille et j'ose même penser, qu'à cet âge, tu avais fini par croire que j'étais ta mère...

Et si ce soir, en écrivant ces mots, j’ai quelques larmes aux yeux, c’est parce que ce n’était pas le syndrome de l’étudiant en médecine qui me prit mais un vrai sentiment… qui ébranla mon être…
Nisrine, où que tu sois, sois heureuse…